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Politique migratoire : la Belgique docile et méprisante

Par Pierre-Arnaud Perrouty, conseiller juridique à la Ligue des droits de l’Homme

LE SOIR | 21.02.2007|
La Belgique vient d’examiner lucidement sa responsabilité dans la persécution des Juifs pendant la seconde guerre mondiale. Cet effort de mémoire a été fort largement et justement salué. Le rapport intégral, La Belgique docile, n’est pas encore disponible mais sa table des matières et son introduction ont été rendues publiques. Et cette table des matières laisse poindre un malaise : un certain nombre de titres auraient pu figurer comme tels dans un rapport sur la situation actuelle des étrangers. Relevons par exemple : « Le durcissement temporaire de la politique d’asile », « L’organisation de la politique d’accueil et les restrictions à l’immigration », « Le retour du refoulement », « La politique d’accueil mise à mal », « L’instauration de camps ».


La comparaison est très certainement dangereuse et doit donc être strictement précisée. Il n’est évidemment pas question de dire que le sort des Juifs hier est comparable à celui des étrangers aujourd’hui : pas de plans de génocide, pas de solution finale, pas de camps d’extermination. Il serait déplacé pour des étrangers de s’y référer et de tenter ainsi de s’approprier un capital compassionnel et d’indignation que leur situation ne justifie pas. Mais de notre côté, trop sûrement confortés par le caractère intolérable de la comparaison, nous nous en tirerions à trop bon compte en refusant de voir un certain nombre de parallèles troublants dans les dispositifs mis en œuvre, hier et aujourd’hui. Non pour laisser entendre que des prémisses comparables mèneraient à la même conclusion dramatique, ni même pour sous-entendre que le pas pourrait être franchi, mais pour nous demander avec la même rigueur, lucidité et absence de complaisance, si le dispositif actuel est acceptable et conforme aux valeurs dont nous nous réclamons par ailleurs.

Le dispositif mis en place par la Belgique et ses partenaires de l’Union européenne pour se protéger de migrants présentés constamment comme une menace est édifiant. Et coûteux en vies humaines. En amont des frontières physiques, la politique de visas, les pressions sur les compagnies aériennes, les patrouilles conjointes (italo-libyennes ou hispano-marocaines) en mer ou dans le désert, la construction de camps aux frontières de l’Union. En aval, les refoulements, les rafles, la restriction des droits, la détention en centres fermés – y compris de familles et d’enfants –, les expulsions individuelles ou par charters. Sans parler des pressions exercées sur les pays d’origine et de transit pour qu’ils reprennent plus facilement les personnes expulsées. Tout ceci a été largement mis en lumière et critiqué depuis plusieurs années, notamment par le réseau Migreurop
[1]. Certes, cette politique est inspirée et encouragée par l’Union européenne. Mais le moins qu’on puisse dire, c’est que la Belgique fait preuve de beaucoup de docilité dans ce domaine.

Docile, la Belgique sait aussi se montrer méprisante. Elle a été condamnée le 12 octobre 2006 par la Cour européenne des droits de l’homme pour avoir expulsé Tabitha, une fillette de cinq ans. Si cette condamnation a été beaucoup commentée pour le regard sévère que la Cour a porté sur les conditions de détention et d’expulsion d’une enfant seule, une phrase est passée plus inaperçue. La Cour a souligné le mépris avec lequel l’Office des étrangers avait traité la mère de la fillette, mépris qui atteignait un seuil de gravité suffisant pour être qualifié, excusez du peu, de traitement inhumain et dégradant.

Il faut écouter des résistants de l’époque participer aujourd’hui à des manifestations, réunions et débats pour soutenir les sans-papiers. Les écouter dire leur malaise devant les rafles, les pièges et les expulsions collectives. Ils exagèrent ? Souvenirs d’anciens combattants ? Comment qualifier l’opération de la police française, au début de ce mois de février, qui a encerclé une antenne des Restos du cœur à Paris pour pouvoir facilement arrêter et expulser les étrangers qui avaient eu la mauvaise idée d’avoir faim ? Comment qualifier le piège tendu il y a quelques années à des Tsiganes slovaques par la police de Gand pour les arrêter et les expulser, piège pour lequel la Belgique a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme ? Les exemples sont, hélas, nombreux.

Ce qui est en jeu, c’est le refus de l’Autre parce qu’il est autre, ce sont nos peurs diffuses et les droits élémentaires d’êtres humains. L’effort de mémoire, l’effort d’analyse et de compréhension des événements passés n’ont de sens que si nous sommes prêts à en tirer des leçons pour le présent. Plutôt que de se comporter en bon élève docile et méprisant à l’occasion, ne pourrait-on rêver que la Belgique mandate son ministre de l’Intérieur lors d’une prochaine réunion avec ses collègues européens pour leur faire part de cette étude sur la deuxième guerre mondiale, leur proposer d’examiner lucidement la manière dont l’Union traite les étrangers et leur suggérer de la remettre en cause de manière radicale ?


[1] www.migreurop.org

Version imprimable | (Im)migrations | Le Dimanche 25/02/2007 | Lu 706 fois



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