La montée en puissance des nanosciences dans les labos, mais aussi
dans l'industrie, s'accompagne de vives discussions sur leurs enjeux,
leurs potentialités et... leurs risques en matière de santé publique et
de sécurité.
http://www.liberation.fr/transversa les/weekend/238447.FR.php
Par Sylvestre HUET
QUOTIDIEN : samedi 3 mars 2007
Et s'ils nous refaisaient «le coup de l'amiante», s'inquiète Sherazade, membre de la Conférence de citoyens d'Ile-de-France sur les nanotechnologies (janvier 2007). Et «risque-t-on, comme Richard Virenque, de prendre des produits contenant beaucoup de nanoparticules à l'insu de notre plein gré?», s'interroge, sans rire, le député Claude Birraux (UMP), dans un sous-sol de l'Assemblée nationale. Ils sont minuscules, pour l'essentiel encore confinés en labo, même si quelques-uns ont opéré une sortie... et font beaucoup de bruit. Ce sont les nanos (matériaux). Nanoparticules de silice dans les pneus Michelin, d'oxydes de titane dans des crèmes solaires, des nanotubes de carbone dans des raquettes de tennis, déjà 1 300 types de nanoparticules recensées dans des objets de consommation (1)... alors que d'innombrables projets de recherche visent à mettre à profit ce nouveau pouvoir de l'homme : produire de manière contrôlée des matériaux dont la taille élémentaire est inférieure à une centaine de nanomètres autant de milliardièmes de mètre.
Si l'essor des nanosciences a commencé au milieu des années 1980, avec des prouesses de labo à coups de microscope à force atomique et quelques engouements prématurés, c'est une véritable ébullition qui s'annonce. Et chacun (industriels, scientifiques, ingénieurs, romanciers... et responsables politiques) de gloser sur de nouveaux objets, matériaux, technologies. L'enthousiasme se double toutefois d'une crainte. Celle de rencontrer sur le chemin de gros soucis. De santé publique, de sécurité... et d'un possible rejet social de la technique. Au point que, lundi prochain, dans le petit village des Houches, à deux pas de Chamonix, le CNRS réunit une nouvelle sorte d'école d'hiver pour scientifiques dont l'intitulé, «Entre liberté et responsabilité : la recherche en nanosciences et nanotechnologies» , trahit le commanditaire : le comité d'éthique de l'organisme de recherche.
Qu'est-ce qu'une nanoparticule ?
Cette école n'est qu'une des multiples initiatives, rapports, colloques, programmes de recherches sur le volet éthique du dossier nano. Jeudi dernier, le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé rendait public son avis. Le nouvel Institut de recherche en santé publique, drivé par Alfred Spira de l'Inserm et regroupant tous les acteurs du domaine, inscrit les risques des nanos au premier lot de sujets à traiter. Conférence de citoyens en Ile-de-France (2), débats publics à Grenoble (3), rapport parlementaire (novembre 2006), organisation par le gouvernement, les 19 et 20 mars, d'une synthèse des débats publics à la Cité des Sciences de la Villette, création d'un comité industrie-CNRS sur la toxicité des nanomatériaux, mobilisation d'ONG (la Fondation science citoyenne, Greenpeace) dénonçant les «objets atomiquement modifiés» et «l'émergence d'une minorité surhumaine» ... L'ébullition est sortie des labos, et ne se limitera pas aux usines. Aux Etats-Unis, en Europe, la montée en puissance des nanosciences s'accompagne de vives discussions sur leurs enjeux, potentialités et risques. Le sujet est large, il va de la future micro-électronique aux implants cérébraux, concentrons-nous sur les nanomatériaux et nanoparticules.
Qu'est-ce qu'une nanoparticule ? Un agrégat d'atomes, quelques dizaines à quelques milliers, d'un ou de plusieurs éléments chimiques. La nature fait cela toute seule depuis des milliards d'années, l'atmosphère en héberge par milliards au mètre cube. L'homme aussi. Involontairement. En brûlant du bois ou n'importe quel combustible. Les moteurs de voitures en expectorent, elles polluent l'air des villes de «particules ultrafines». Nous en inhalons plusieurs millions à chaque inspiration. Et les études épidémiologiques mettent en relation cet environnement pollué et des maladies respiratoires ou cardio-vasculaires. Le nouveau ? C'est que l'on parvient maintenant à les produire «exprès». Pour leurs propriétés spécifiques de nanoparticules, qui peuvent radicalement différer de celles du matériau composé de milliards d'atomes, et sont souvent inconnues. Les scientifiques, les ingénieurs espèrent qu'elles se traduisent en matériaux plus solides, ou plus souples, aux propriétés optiques, électroniques ou magnétiques nouvelles, en catalyseurs hyperefficaces (synthèse chimique, dépollution...).
Les propriétés nouvelles de ces nanoparticules constituent autant de questions. Sont-elles nocives pour la santé, l'environnement ? Au moment de leur production ? De leur usage ? De leur dissémination ? Si l'inconnu suscite l'excitation des scientifiques et l'appétit des industriels, il peut tout aussi bien se transformer en inquiétude... voire en refus de se lancer dans l'aventure. Au moment où la procédure Reach, voté par l'Union européenne, oblige les industriels de la chimie à démontrer l'innocuité sanitaire et environnementale de milliers de produits déjà sur le marché, l'idée qu'il faudrait faire de même pour les nanomatériaux s'impose. Or, comme leur production, au début tout au moins, sera de petites quantités, elle échappe aux contraintes de Reach.
En outre, des précédents hantent les esprits. L'affaire de l'amiante, dont la nocivité est en partie liée à la morphologie de ses fibres, ou la pollution urbaine incitent des citoyens et des associations de consommateurs à demander que l'on étudie les risques avant de produire massivement ces nouveaux matériaux. Les plus radicaux réclament même, comme la Fondation science citoyenne, «un moratoire sur les nanotechnologies».
Des connaissances lacunaires
Les scientifiques, des industriels et quelques responsables politiques ont vu le danger. Des programmes de recherche sur les risques de ces nanomatériaux sont engagés. L'Union européenne a financé le programme Nanosafe, suivi par Nanosafe 2 en 2005, qui regroupe laboratoires publics et privés de 7 pays. Des labos des universités de Toulouse et Bordeaux (CNRS et Inserm) viennent de recevoir 300 000 euros sur trois ans pour mener des expériences sur l'impact environnemental et sur la santé des nanotubes de carbone. Un article paru dans Nature (4) faisait la liste des progrès instrumentaux nécessaires au simple suivi des nanoparticules dans l'air, l'eau ou le sol. Malgré cette mobilisation, les connaissances restent lacunaires. Benoît Hervé-Bazin, toxicologue à l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), vient d'en faire la synthèse dans un rapport copieux. Il dénonce le trop faible pourcentage des budgets de recherche consacrés à la sécurité. Réclame la mise au point de règles spécifiques pour les travailleurs exposés lors des processus de fabrication. Suggère de suspendre tout relargage volontaire de nanoparticules à l'état libre avant d'en avoir étudié le devenir dans l'environnement. Alerte isolée ? Nenni. Le Comité de la prévention et de la précaution du ministère de l'Ecologie préconise d'adapter Reach aux nanoparticules. Le rapport de juillet 2006 de l'Afsset (1) juge «indispensable de multiplier les études toxicologiques et mesurer l'exposition des personnes en milieu professionnel [...] préalable à l'établissement d'une législation spécifique aux nanoparticules manufacturées». Et s'inquiète des conséquences du «secret industriel sur l'évaluation du risque». Les industriels à l'image d'Arkema (lire ci-après), qui estime prendre des précautions particulièrement serrées pour sa production de nanotubes de carbone , la recherche publique et les responsables politiques sont au pied du mur. S'ils ne transforment pas ces recommandations en programmes de recherche, en dispositifs réglementaires et pratiques de sécurité, nul ne pourra dire: «Je ne savais pas.»
(1) Rapport (juillet 2006) de l'Afsset, Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail. www.nanomateriauxetsecurite.fr /node/252
(2) Libération du 23 janvier 2007.
(3) Libération du 13 décembre 2006.
(4) Libération du 22 novembre 2006.
© Libération
http://www.liberation.fr/transversa
Par Sylvestre HUET
QUOTIDIEN : samedi 3 mars 2007
Et s'ils nous refaisaient «le coup de l'amiante», s'inquiète Sherazade, membre de la Conférence de citoyens d'Ile-de-France sur les nanotechnologies (janvier 2007). Et «risque-t-on, comme Richard Virenque, de prendre des produits contenant beaucoup de nanoparticules à l'insu de notre plein gré?», s'interroge, sans rire, le député Claude Birraux (UMP), dans un sous-sol de l'Assemblée nationale. Ils sont minuscules, pour l'essentiel encore confinés en labo, même si quelques-uns ont opéré une sortie... et font beaucoup de bruit. Ce sont les nanos (matériaux). Nanoparticules de silice dans les pneus Michelin, d'oxydes de titane dans des crèmes solaires, des nanotubes de carbone dans des raquettes de tennis, déjà 1 300 types de nanoparticules recensées dans des objets de consommation (1)... alors que d'innombrables projets de recherche visent à mettre à profit ce nouveau pouvoir de l'homme : produire de manière contrôlée des matériaux dont la taille élémentaire est inférieure à une centaine de nanomètres autant de milliardièmes de mètre.
Si l'essor des nanosciences a commencé au milieu des années 1980, avec des prouesses de labo à coups de microscope à force atomique et quelques engouements prématurés, c'est une véritable ébullition qui s'annonce. Et chacun (industriels, scientifiques, ingénieurs, romanciers... et responsables politiques) de gloser sur de nouveaux objets, matériaux, technologies. L'enthousiasme se double toutefois d'une crainte. Celle de rencontrer sur le chemin de gros soucis. De santé publique, de sécurité... et d'un possible rejet social de la technique. Au point que, lundi prochain, dans le petit village des Houches, à deux pas de Chamonix, le CNRS réunit une nouvelle sorte d'école d'hiver pour scientifiques dont l'intitulé, «Entre liberté et responsabilité : la recherche en nanosciences et nanotechnologies» , trahit le commanditaire : le comité d'éthique de l'organisme de recherche.
Qu'est-ce qu'une nanoparticule ?
Cette école n'est qu'une des multiples initiatives, rapports, colloques, programmes de recherches sur le volet éthique du dossier nano. Jeudi dernier, le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé rendait public son avis. Le nouvel Institut de recherche en santé publique, drivé par Alfred Spira de l'Inserm et regroupant tous les acteurs du domaine, inscrit les risques des nanos au premier lot de sujets à traiter. Conférence de citoyens en Ile-de-France (2), débats publics à Grenoble (3), rapport parlementaire (novembre 2006), organisation par le gouvernement, les 19 et 20 mars, d'une synthèse des débats publics à la Cité des Sciences de la Villette, création d'un comité industrie-CNRS sur la toxicité des nanomatériaux, mobilisation d'ONG (la Fondation science citoyenne, Greenpeace) dénonçant les «objets atomiquement modifiés» et «l'émergence d'une minorité surhumaine» ... L'ébullition est sortie des labos, et ne se limitera pas aux usines. Aux Etats-Unis, en Europe, la montée en puissance des nanosciences s'accompagne de vives discussions sur leurs enjeux, potentialités et risques. Le sujet est large, il va de la future micro-électronique aux implants cérébraux, concentrons-nous sur les nanomatériaux et nanoparticules.
Qu'est-ce qu'une nanoparticule ? Un agrégat d'atomes, quelques dizaines à quelques milliers, d'un ou de plusieurs éléments chimiques. La nature fait cela toute seule depuis des milliards d'années, l'atmosphère en héberge par milliards au mètre cube. L'homme aussi. Involontairement. En brûlant du bois ou n'importe quel combustible. Les moteurs de voitures en expectorent, elles polluent l'air des villes de «particules ultrafines». Nous en inhalons plusieurs millions à chaque inspiration. Et les études épidémiologiques mettent en relation cet environnement pollué et des maladies respiratoires ou cardio-vasculaires. Le nouveau ? C'est que l'on parvient maintenant à les produire «exprès». Pour leurs propriétés spécifiques de nanoparticules, qui peuvent radicalement différer de celles du matériau composé de milliards d'atomes, et sont souvent inconnues. Les scientifiques, les ingénieurs espèrent qu'elles se traduisent en matériaux plus solides, ou plus souples, aux propriétés optiques, électroniques ou magnétiques nouvelles, en catalyseurs hyperefficaces (synthèse chimique, dépollution...).
Les propriétés nouvelles de ces nanoparticules constituent autant de questions. Sont-elles nocives pour la santé, l'environnement ? Au moment de leur production ? De leur usage ? De leur dissémination ? Si l'inconnu suscite l'excitation des scientifiques et l'appétit des industriels, il peut tout aussi bien se transformer en inquiétude... voire en refus de se lancer dans l'aventure. Au moment où la procédure Reach, voté par l'Union européenne, oblige les industriels de la chimie à démontrer l'innocuité sanitaire et environnementale de milliers de produits déjà sur le marché, l'idée qu'il faudrait faire de même pour les nanomatériaux s'impose. Or, comme leur production, au début tout au moins, sera de petites quantités, elle échappe aux contraintes de Reach.
En outre, des précédents hantent les esprits. L'affaire de l'amiante, dont la nocivité est en partie liée à la morphologie de ses fibres, ou la pollution urbaine incitent des citoyens et des associations de consommateurs à demander que l'on étudie les risques avant de produire massivement ces nouveaux matériaux. Les plus radicaux réclament même, comme la Fondation science citoyenne, «un moratoire sur les nanotechnologies».
Des connaissances lacunaires
Les scientifiques, des industriels et quelques responsables politiques ont vu le danger. Des programmes de recherche sur les risques de ces nanomatériaux sont engagés. L'Union européenne a financé le programme Nanosafe, suivi par Nanosafe 2 en 2005, qui regroupe laboratoires publics et privés de 7 pays. Des labos des universités de Toulouse et Bordeaux (CNRS et Inserm) viennent de recevoir 300 000 euros sur trois ans pour mener des expériences sur l'impact environnemental et sur la santé des nanotubes de carbone. Un article paru dans Nature (4) faisait la liste des progrès instrumentaux nécessaires au simple suivi des nanoparticules dans l'air, l'eau ou le sol. Malgré cette mobilisation, les connaissances restent lacunaires. Benoît Hervé-Bazin, toxicologue à l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), vient d'en faire la synthèse dans un rapport copieux. Il dénonce le trop faible pourcentage des budgets de recherche consacrés à la sécurité. Réclame la mise au point de règles spécifiques pour les travailleurs exposés lors des processus de fabrication. Suggère de suspendre tout relargage volontaire de nanoparticules à l'état libre avant d'en avoir étudié le devenir dans l'environnement. Alerte isolée ? Nenni. Le Comité de la prévention et de la précaution du ministère de l'Ecologie préconise d'adapter Reach aux nanoparticules. Le rapport de juillet 2006 de l'Afsset (1) juge «indispensable de multiplier les études toxicologiques et mesurer l'exposition des personnes en milieu professionnel [...] préalable à l'établissement d'une législation spécifique aux nanoparticules manufacturées». Et s'inquiète des conséquences du «secret industriel sur l'évaluation du risque». Les industriels à l'image d'Arkema (lire ci-après), qui estime prendre des précautions particulièrement serrées pour sa production de nanotubes de carbone , la recherche publique et les responsables politiques sont au pied du mur. S'ils ne transforment pas ces recommandations en programmes de recherche, en dispositifs réglementaires et pratiques de sécurité, nul ne pourra dire: «Je ne savais pas.»
(1) Rapport (juillet 2006) de l'Afsset, Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail. www.nanomateriauxetsecurite.fr
(2) Libération du 23 janvier 2007.
(3) Libération du 13 décembre 2006.
(4) Libération du 22 novembre 2006.
© Libération