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10 milliards d'euros, le chiffre de la semaine. La Lybie. L'alibi ?

Extrait d'un article de Vacarme, automne 2007

Un extrait d'un article de Vacarme, qui met en perspective la visite officielle du colonel Khadafi en France, cette semaine. Puisque la France est l'un des principaux producteurs de centrales nucléaires, pourquoi ne pas en vendre à la Lybie, l'un des pays les pluys riches d'Afrique ? Il s'agit de fournir aux Lybiens quelques éléments de civilisation chers à l'Europe sur-développée. En échange, La Lybie devient l'un des maillons de la chaîne, qui, sur le pourtour sud de la Méditerranée, est chargée de faire barrage à l'immigration venue d'Afrique noire. Avec le Maghreb, elle constitue la Marche, c'est-à-dire une zone tampon pour recuillir et faire disparaitre une bonne partie de cette population "barbare" qu'il faut empêcher d'atteindre les côtes de l'Europe.

un arrière-goût bulgare
par Claire Rodier

Vacarme n°41, automne 2007 (article écrit en septembre 2007)
http://vacarme.eu.org/article1408.html

On commence à savoir la teneur des marchandages estivaux entre les
Sarkozy et le colonel Khadafi. Mais l’intérêt subit pour le régime
libyen ignore ses tractations constantes avec l’Union européenne en
matière d’immigration. Car si les éclats sanglants du régime sont
maintes fois documentés (le DC-10, le chantage nucléaire,
Lockerbie...), la mort lente des migrants dans les geôles libyennes
ne suscite nul émoi. Il faut dire que cette co-production européo-
libyenne se déploie hors des conventions de Genève et loin des
regards. Les migrants n’ont rien, pas même la notoriété des
infirmières bulgares.

Le show libyen offert à l’été 2007 par le président français et son
épouse n’aura été que l’épisode people d’un feuilleton diplomatico-
financier qui dure depuis 2000, sur fond de chantage et de
négociations secrètes. En faisant croire qu’ils avaient obtenu la
libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien
condamnés à mort pour avoir prétendument inoculé le virus du sida à
des enfants libyens, les époux Sarkozy ont fait grincer des dents les
partenaires européens de la France : cette libération venait en effet
d’être conclue en sous-main par la Commission européenne. Mais les
gesticulations sarkozyennes ont néanmoins eu, du point de vue de
Bruxelles, l’avantage de faire oublier le volet de l’accord conclu
avec Tripoli en vue d’une collaboration accrue de la Libye à la
politique migratoire de l’UE. Un objectif poursuivi depuis des
années, en dépit des innombrables raisons qui militent contre
l’alliance avec un pays connu pour maltraiter - en plus de ses
propres opposants - migrants et étrangers.

Les otages bulgares ont dénoncé les conditions de leur séjour dans
les prisons du colonel Kadhafi, et l’opinion internationale s’est
émue des tortures et des sévices subis. Qui sait combien d’autres
étrangers se trouvent actuellement dans les geôles libyennes, dans
d’aussi mauvaises conditions, sans que personne ou presque s’en
préoccupe ? Plusieurs milliers, migrants et réfugiés principalement
originaires d’Afrique noire, que le régime emprisonne, maltraite et
expulse. À la différence des infirmières bulgares, leurs diplomaties
ne se mobilisent pas pour les faire libérer ; quant à l’UE, non
seulement elle ne proteste pas, mais, fait aggravant, elle est la
complice, sinon l’instigatrice, de la perpétuation de cette situation.

Fin 2006 une conférence euro-africaine sur la migration et le
développement a réuni à Tripoli - c’était une première - des
représentants des gouvernements des pays de l’UE et de cinquante-
trois pays d’Afrique noire et d’Afrique du Nord, offrant à la Libye,
longtemps au ban de la communauté internationale, l’occasion
d’apparaître tout à la fois comme un voisin respectable et comme un
pôle incontournable de la coopération Nord-Sud en matière de gestion
des flux migratoires.

Depuis quelques années en effet ce pays, qui partage plus de 4000 km
de frontières avec ses six voisins, est la dernière étape avant
l’Europe pour de nombreux migrants, souvent originaires d’Afrique sub-
saharienne, en quête d’une vie meilleure ou d’une protection. S’il
n’est pas facile de quantifier le phénomène, il est certain que
l’étape libyenne est l’un des principaux points de passage de la
frontière sud de l’Europe, en raison notamment des contrôles qui
rendent de plus en plus difficiles le franchissement du détroit de
Gibraltar, puis la route de l’ouest par la Mauritanie et les
Canaries. La Libye est donc devenue pour l’UE un partenaire obligé
dans la lutte contre l’immigration irrégulière, obligeant les
dirigeants européens à adapter stratégie, méthodes et discours aux
relations avec ce difficile voisin.

Sous la pression de l’Italie et de Malte, un rapprochement s’est
progressivement mis en place à partir de 2003. L’imminence de
l’adhésion à l’UE de Malte, particulièrement concerné par les
débarquements de boat people sur ses côtes, était à l’époque venue
renforcer, au sein des enceintes de réflexion européennes, la
conviction qu’il fallait intervenir en amont des frontières maritimes
de l’Union, en trouvant les moyens d’associer la Libye. Les étapes de
ce rapprochement illustrent de manière éclairante la place
prépondérante que l’UE a choisi de donner à la dimension migratoire
dans sa politique extérieure, même si le prix à payer est lourd au
regard des droits de la personne. Cette tendance est générale, et
l’exemple de la Libye emblématique. On y voit converger, sur fond de
réchauffement des relations entre l’Europe et un pays longtemps tenu
à l’écart, les intérêts économiques des pays occidentaux et le souci
de respectabilité d’une Libye dont le blocus commercial qui lui était
imposé depuis vingt ans entravait les nouvelles ambitions.

Dès 2004, l’année même où la « justice » libyenne confirmait la
condamnation à mort des infirmières bulgares, la Commission
européenne annonçait l’imminence de l’entrée de la Libye dans le
processus de Barcelone (qui lie les pays de la zone méditerranéenne à
l’UE) afin d’ouvrir « la voie à une normalisation des relations ». Un
an plus tard rien n’était fait : « Nous attendons la réponse de
Tripoli », déclarait le ministre espagnol des Affaires étrangères.
Impatience visiblement non partagée par la Libye qui, privilégiant
son rôle au sein de l’Union africaine, n’a pas pour priorité
d’adhérer à un processus dédié au partenariat UE/rive sud de la
Méditerranée. L’UE ne dispose donc d’aucune base pour engager avec ce
pays une collaboration sur les questions migratoires. Tout - hormis
sa position stratégique au regard des itinéraires empruntés par les
migrants - milite contre.

Certes, la reconnaissance par les autorités libyennes de leur
responsabilité dans l’attentat de Lockerbie (1988) et leur engagement
à en dédommager les victimes a permis, en octobre 2004, la levée de
l’embargo international. Certes, la Libye a affirmé sa volonté de
démanteler son programme d’armes de destruction massive sous
supervision internationale, et de régler la facture des attentats de
Berlin (1986) et du DC-10 de la compagnie française UTA (1989). Mais
cette décrispation progressive n’a rien à voir avec des avancées
démocratiques ou une adhésion aux standards internationaux en matière
de droits de l’homme : elle est avant tout le résultat d’une
opportune convergence d’intérêts commerciaux, ceux de la Libye, à qui
elle donne les moyens de développer le potentiel de son sous-sol, et
ceux des investisseurs étrangers, friands de nouveaux sites
pétrolifères à exploiter [1]. La dimension économique reste la trame
de la relation UE/Libye, et c’est bien elle, en arrière-plan du
critère géographique, qui a imposé la mise en place progressive d’une
coopération qu’on peut qualifier, du point de vue de la morale et des
droits humains, de contre-nature.

à suivre sur le site de Vacarme...
http://vacarme.eu.org/article1408.html

Version imprimable | (Im)migrations | Le Mercredi 12/12/2007 | Lu 2795 fois



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