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Disparition de Lucie Aubrac

Un message de l'Autre campagne, soutenue et préfacée par le couple Aubrac

Bonjour à tous,

 
C'est avec une immense tristesse que nous avons appris la disparition de Lucie Aubrac dans la nuit du 14 au 15 mars. Nos pensées vont à son mari Raymond Aubrac, qui nous avait fait l'honneur de co-signer avec elle la préface du livre « l'Autre campagne ». Ils nous avaient reçus chez eux avec une grande gentillesse il y a quelque mois, pour discuter du projet. Nous gardons un souvenir ému de cette rencontre.
 
Nous avions été profondément marqués par la sincérité d'un engagement qui n'aura pas dévié un instant depuis leurs années de résistance. Lucie Aubrac portait un regard lucide sur la société actuelle, sur ces forces nombreuses qui ont « un grand intérêt à ce que rien ne change », et sur la nécessité impérieuse d'inventer chaque jour un monde meilleur. Celles et ceux qui, aujourd'hui, se répandent en propos lénifiants sur la mémoire de Lucie Aubrac et qui dans le même temps contribuent à maintenir et aggraver les inégalités et les injustices qu'elle n'a eu de cesse de combattre, seraient bien inspirés de lire cette courte préface.
 
Bien à vous,
 
Georges Debrégeas et Thomas Lacoste
 
 

Pour un autre Programme
 
Par Lucie Aubrac et Raymond Aubrac
 
 
Quelle audace réconfortante ! Quand le poids des injustices devient trop lourd, il faut changer. Mais ceux qui nous le disent ici n’ajoutent pas qu’eux seuls seraient capables de résoudre tous les problèmes si on leur confiait le pouvoir : ce ne sont pas des candidats à une élection. Autorisés, dans leur domaine, par leur compétence et expérience, ils savent ce qui va mal et pourquoi ça va mal. Ils dénoncent quand il le faut les responsables et ils proposent comment peut être rétablie l’efficacité, comment peut être rétablie la justice. Voilà une vraie démarche citoyenne.

Dans une société pourtant si riche, mais qui a perdu son élan vital et qui ne propose à ses enfants rien qui puisse les mobiliser, la leçon d’anatomie découvre l’égoïsme, le repli sur soi, le peur et le mépris de l’autre, le déni de l’intérêt général au bénéfice de quelques particuliers, bref le recul de la démocratie. Nous savons qu’attaquer la démocratie nourrit l’intolérance et le racisme.

Nous nous souvenons qu’il y a peu, car soixante ans n’est pas si long, notre pays sortait d’une catastrophe. Il avait été pillé, rançonné, détruit dans ses œuvres vives pas des forces brutales, et nous avions su résister, c’est à dire comprendre et oser. Pour retrouver la liberté et les valeurs de la République, bien des hommes et des femmes avaient donné leur vie. Cette résistance avait catalysé l’élan vital qui nous avait permis de remettre debout un pays de citoyens capables de rétablir une démocratie créatrice.

Résister c’est oser. Oser, c’est créer. Encore faut-il une feuille de route, établie après l’analyse de la situation.

Mais regardons de plus près cette feuille de route qui a, il y a soixante ans, rétabli et rénové notre démocratie : le Programme du Conseil national de la résistance (CNR). Elle prépare, en effet, les principales réformes qui ont été réalisées après la Libération : nationalisation de grandes entreprises, de banques, de services publics ; création de la Sécurité sociale pour tous les salariés, liberté de la presse, etc. Elles étaient les têtes de chapitre du programme de gouvernement de ceux qui ont alors dirigé notre pays, avec le Général de Gaule et les principaux dirigeants de la Résistance : mouvements, syndicats, partis politiques.

Mais ces réformes, souvent fondamentales, ne sont proposées que dans la seconde partie du Programme du CNR. La première consiste à définir les moyens de la lutte qui permettra de les entreprendre : comment il fallait s’organiser pour mettre la démocratie au pouvoir, en luttant contre l’ennemi occupant le pays, et ses auxiliaires au service de ce qu’on appelait « l’Etat Français », le régime pétainiste de Vichy. Ainsi fut conduite la lutte pour la Libération, lutte militaire et politique. C’est après la victoire, obtenue grâce aux efforts et aux sacrifices de nos alliés, les Soviétiques, les Britanniques et les Américains, avec les combats des Français, que la seconde partie du Programme du CNR put être appliquée.

Si nous réfléchissons aux conditions actuelles, nous devons conclure que cet Autre Programme qui nous est proposé dans cet ouvrage ne pourra être appliqué qu’après une autre forme de lutte, contre des adversaires et des obstacles qui ne sont plus, heureusement, des forces armées ou des polices mais qui ne sont pas, pour autant, faciles à surmonter.

Il faudra d’abord connaître ces obstacles. Certains sont autour de nous : l’égoïsme, la résignation, la peur du changement, l’implantation solide, dans notre pays, de forces politiques, sociales et financières qui ont le plus grand intérêt à ce que rien ne change. Elles disposent d’un large éventail de moyens matériels et psychologiques. D’autres sont le résultat de l’état actuel du monde, le produit de transformations historiques à l’échelle internationale qu’il n’est pas lieu de décrire ici. Mentionnons seulement l’emprise mondiale des forces financières, avec la constante accumulation d’énormes masses de capitaux, aidées par la révolution des communications, et qui cherchent partout des placements rentables financièrement et/ou politiquement. Ces forces, elles aussi, ont le plus grand intérêt à ce que rien ne change.

L’ouvrage qui nous est ici proposé définit un Autre Programme. Est-ce une utopie ? Une utopie réaliste alors, fondée par des connaissances accumulées et des engagements de terrain. Une utopie qui ne livre pas la voie toute tracée vers une société idéale mais exprime la possibilité de résister à l’ordre établi, à l’ordre promis.
On résiste contre un état de choses, mais on résiste aussi pour créer quelque chose. Définir les injustices actuelles et montrer de quels matériaux pourrait être construit un monde meilleur, c’est créer les premières conditions pour que s’engage le combat victorieux. Résister, c’est créer.
 
Lucie Aubrac et Raymond Aubrac
 
 
 
 
 
N'hésitez pas à diffuser ce message et à contribuer au débat sur www.lautrecampagne.org

Version imprimable | Politique | Le Vendredi 16/03/2007 | Lu 609 fois



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