Là-bas hebdo No 15
Entre le 18 juin 2006 et le 8 juillet 2006, vous avez été plus de 200 000 à signer la pétition « Sauvons là-bas », soit 10 000 par jour pendant 20 jours. Un record inégalé. A ces Auditeurs Modestes et Géniaux nous adressons chaque semaine (ou presque) un rappel du programme de la semaine à (ré)écouter, ainsi que quelques nouvelles du front.
Bonne année Chers amis,
Bonne année Chers AMG,
Bonne année taupes et colibris !
Le Courage frappe à la porte de la Peur. « Entre, entend-il ». Il entre.
Il n’y a personne.
« Oui
c’est moi le colibri, l’oiseau minuscule pimpant et joyeux mais pas
aujourd’hui car il y a le feu, notre grande forêt brûle, aussi je ne
reste pas avec vous, j’y vais , j’y vole, je suis indigné, voyez comme
je suis indigné les amis, d’ailleurs j’ai signé la pétition, « A bas le
feu ! » mais ce n’est pas tout, je ne reste pas sans rien faire avachi
devant ma télé, non, voyez à mon bec cette goutte d’eau, eh bien je
vais la larguer dans les flammes, oh, certes ce n’est qu’un geste, mais
c’est déjà ça, les amis, on est si impuissants, si petits, et l’on se
sent tellement bien quand on fait le bien, après ça on peut se regarder
dans la glace, car que faire d’autre en attendant que les flammes
arrivent ? »
Un peu partout ces temps-ci on entend ce colibri. Les paroles disent à peu près « C’est déjà ça, le peu qu’on peut c’est déjà ça ». Dans les années 80, c’était la chanson « C’est comme ça »
qu’on entendait partout ; c’est comme ça, c’est naturel, c’est normal,
toute contestation est ringarde et extrémiste, enrichissez-vous ici et
maintenant, l’Histoire est finie, « la dénonciation systématique du profit est à ranger au magasin des accessoires » affirmait Laurent Fabius fin 1983.(*)
Puis,
avec les années 90, le retour des guerres et la montée des souffrances
sociales, une dissidence s’est fait entendre et a réussi à rouvrir
quelques brèches contre la soumission à « la réalité économique ».
Marx (Karl) l’avait dit : « L’économie
politique, malgré son air laïc et matériel, est en réalité une science
morale, la plus morale des sciences. Son dogme principal c’est le
renoncement, l’abandon de la vie et de tous les besoins humains. »(**)
Mais
même sans Marx on comprenait ; chacun dans sa vie était confronté au
chômage, à l’injustice sociale et à la compétition égoïste. La
précarité était imposée à tous ; un moyen radical pour décourager la
plus modeste fronde, tant il est vrai que la précarité mène à la
soumission.
Mais malgré tout, des échines se relevèrent. Malgré la
diabolisation acharnée de toute critique sociale, malgré des médias
fabriquant chaque jour amnésie et consentement (consensuel et sans
suite) malgré, surtout, le bréviaire de l’ impuissance, partout
inculqué, répété, psalmodié. « Le pouvoir nous veut tristes », disait Gilles Deleuze.
Malgré
tout, des contre-feux s’allumèrent, vacillants, tâtonnants, mais
suffisants pour troubler nos maîtres et leurs bons plaisirs.
En dix
ans, de décembre 1995 à mai 2005, du rejet du Plan Juppé au rejet du
traité de constitution européenne, ils passèrent d’un autisme hautain à
une rage dédaigneuse contre ce peuple imbécile. Heureusement
inorganisé. Mais tout de même, il allait falloir trouver les moyens de
détourner et de récupérer la « grogne » de ces gorets. Pour cela les
idées ne manquaient pas et les médias suivirent ; mettre de l’éthique
sur l’étiquette, faire du commerce équitable, du développement durable,
repeindre les prisons, dénoncer bavures et dérives, fustiger la guerre,
le terrorisme, Le Pen et le Sida. Et le Mal.
S’engager
dans la guérilla contre les tarifs abusifs des opérateurs de téléphonie
mobile, prendre le maquis pour l’ouverture des centres d’hébergements
pour les SDF toute l’année même le dimanche, rejoindre les brigades
internationales pour la collecte des pièces jaunes… Bref, toutes les
causes, toutes les luttes qu’on voudra mais à la condition de se tenir
dans les limites de la morale, surtout rien de politique, rien qui
risque de remettre en cause l’ordre économique du monde, mais au
contraire, le renforce et lui donne figure humaine, celle du
citoyen-consommateur par exemple, « Pour un capitalisme moral » voilà un possible mot d’ordre, ou bien, encore mieux « Un autre capitalisme est possible ».
Car
c’est cela le plus important. Que le colibri s’agite et s’épuise et
démontre son impuissance, notre impuissance. Mais qu’il ne touche pas à
l’ordre inéluctable. Que tout change pour que rien ne change. Changer
la garniture, offrir le choix entre cornichon ou mayonnaise, mais ne
pas toucher au plat de résistance. Cornichon Sarko, Mayonnaise Sego,
que choisir ? Chaque jour nous vous aidons, amis auditeurs, en toute
objectivité. Comprenez bien, changez le gérant si ça vous chante, mais
pas question de toucher au fonds de commerce.
Voilà qui est capital.
Que le colibri ne demande pas pourquoi la forêt est en feu.
Que
le colibri ne demande pas pourquoi depuis la privatisation des Sapeurs
Pompiers, les camions sont en panne faute d’investissement.
Que le colibri ne sorte pas du périmètre de la compassion.
Que
le colibri n’entende pas sous la terre, dans le souterrain des choses,
les taupes qui patiemment creusent et rongent en fredonnant, les
pilotis du Grand Château de Carte.
Alors, en 2007, taupe ou colibri ?
Bonne année chers AMG !
Là-bas
* Cité par François Cusset, La Décennie, le grand cauchemar des années 80, la Découverte, 2006
**
Marx Karl, (1818-1883) ; note in « Marx Engels Archiv », éditions
Riazonov,Francfort. Cité par Raoul Vaneigem dans son « Dictionnaire des
citations » Le cherche midi, éditeur, 1998.
Cette
semaine, retour à Dubaï, l’eldorado ultralibéral d’où même les colibris
sont partis. Trop peu de gouttes d’eau pour leurs bonnes œuvres dans ce
désert de luxe et de splendeur ?
Aux Emirats Arabes Unis, les
travailleurs immigrés représentent 90% des 1,7 millions de travailleurs
du secteur privé. En 2004, 880 d’entre eux ont trouvé la mort sur l’un
des innombrables chantiers du pays.
Pour remédier à cette situation
désastreuse, les Émirats ont nommé 80 inspecteurs pour surveiller les…
200 000 sociétés qui font venir et emploient les travailleurs immigrés.
Il
faut dire que les conditions de travail des ouvriers ne font pas partie
des principales préoccupations des Émirats, plus intéressés par la
prompte construction des palaces, complexes “modernes”, et autres
centres commerciaux (dont le plus grand du monde affichant 400 000m2 de
surface), destinés à répondre aux attentes des milliardaires locaux et
à leur soif d’investir.
Pour cela, il faut de la main-d’oeuvre. Les
ouvriers viennent essentiellement d’Asie : ils n’ont aucune couverture,
aucun droit et gagnent en moyenne 123 euros par mois. Certains,
préfèrent se suicider.
C’est le paradis ultralibéral…
Les cinq émissions de la semaine :
Et toujours :