En 1871, la guerre civile ravage la banlieue, puis la capitale. Une exposition révèle les clichés d'un photographe amateur qui a saisi sur le vif le Paris de la Commune.
Par Ange-Dominique BOUZET
QUOTIDIEN : lundi 4 décembre 2006
Regard d'un Parisien sur la Commune. Bibliothèque historique de la ville
de Paris, 22, rue Mahler, Paris IVe. Mar-dim 11 h-19 h, jusqu'au 4 février
(2 à 4 €). Tél. : 01 44 59 29 60. Livre homonyme de Jean Baronnet,
commissaire de l'exposition. Gallimard, 176 pp., 35 €.
Ecrasée dans le sang, la Commune n'a duré que deux mois, de mars à mai 1871. La photographie commençait, dans la foulée de la guerre de Crimée et de la guerre de Sécession, à enregistrer l'histoire. Moins que la vivacité des combats eux-mêmes, c'est leur effet sur la capitale qu'elle a pu immortaliser. Ce Paris de la Commune qui revit à la Bibliothèque historique (BHVP) est celui d'une année : avant, pendant et après la Commune. Avant, dans l'intermède qui suit la fin du siège allemand, les photographes envahissent la banlieue en miettes. Ensuite, avec la guerre civile, ce sera à Paris de subir le pilonnage des Versaillais et les incendies insurrectionnels. L'exposition, orchestrée par Jean Baronnet, expert de la Commune, restitue le drame. Sur les cimaises, on scrute, fasciné, l'émergence du Paris haussmannien saisi dans l'apocalypse, qui
inclut des vieux monuments perdus, comme les Tuileries. Mais aussi le Paris identitaire d'aujourd'hui, en décombres. Près de 1 800 clichés ont été déposés (dont les premiers photomontages propagandistes). Triant le meilleur des fonds détenus par la BHVP et signés Eugène Disdéri, Eugène Fabius ou Bruno Braquehais, Jean Baronnet corrige au passage des légendes erronées : il reconnaît Eugène Pottier, l'auteur de l'Internationale, là où l'on ne signalait qu'un «passant anonyme devant
la colonne Vendôme».
Numérique.
Surtout, il organise la révélation d'un amateur ignoré, Hippolyte Blancard, dont les agrandissements inédits sont le clou de l'exposition. Ces 150 clichés abondent en cadrages originaux. Leur dimension et la radicalité du noir et blanc fouettent les cimaises. Issus de négatifs sur verre, ils ont été tirés, aujourd'hui, par traitement numérique haute définition. D'Hippolyte
Blancard, on connaît peu de chose. Il a vécu de 1843 à 1924, était pharmacien, habitait rue du Vieux-Colombier. Il a photographié son temps à tour de bras, en amateur fortuné, avec un goût très moderne du reportage. La BNF possède 8 000 de ses images (sans les négatifs).
Tirées au platine, procédé coûteux et magnifique, elles ont presque toutes été prises après 1885... sauf quelques-unes d'entre elles, qui remontent à la Commune et correspondent à certains des négatifs de la BHVP. C'est cette coïncidence, alliée à la similitude de l'écriture portée sur les clichés, qui a conduit Jean Baronnet, il y a environ trois ans, à attribuer ce fonds de 500 images de la Commune, jusque-là considérées comme anonymes, à Blancard. Ces plaques nécessitaient un
long temps de pose. Pour autant, Blancard n'hésite pas à incorporer la présence humaine, même en mouvement, d'où les silhouettes floues qui contribuent à animer ses photos, tout en décuplant leur charge fantasmagorique. Sertie dans le losange d'une ferrure arrachée, l'escalade d'un groupe de dandys domine le torrent pierreux de ce qui fut un escalier d'honneur. Des lavandières battent le linge sous le pont de Champigny. Sur le boulevard Saint-Martin, des élégants en haut de forme cambrent la taille. Porte Maillot, le vent souffle la jupe d'une jeune fille en paletot... Au milieu des soldats en képi, devant les monuments éclatés, au coin des estaminets arc-boutés sur les décombres, des femmes en tablier vendent des fleurs ou du vin, des nourrices en bonnet blanc surveillent des petits enfants, des hommes à casquette et en blouse s'activent. Béance. La photo n'est pas encore à l'heure de l'instantané. Elle ne capte qu'imparfaitement cette agitation humaine.
Mais elle l'inscrit dans le cadre d'une éternité perturbante. Nulle guerre, depuis, n'a si violemment dévasté Paris et ses environs. Devant le cataclysme de Saint-Cloud, les contemporains parlèrent des ruines de Rome et de l'Egypte. Quand, quelques mois plus tard, Blancard photographie, de l'intérieur, une arche des Tuileries béant sur l'arc de triomphe du Carrousel et la cour du Louvre, la même conflagration des antiques, favorisée par la redondance des styles architecturaux, saute à la rétine. Pourtant, malgré les destructions, cette banlieue médiocre et dévastée, encore villageoise, nous est toujours présente. Ce jeune Paris haussmannien s'est patiné, sans que notre oeil suspecte qu'il ait dû être reconstruit avant même d'avoir vieilli. On se dit, alors, que les toits déchiquetés de la place de la République et la carcasse branlante de l'Hôtel de Ville pourraient aussi bien appartenir à une projection imaginaire : avec ses airs de Berlin 1945, de Beyrouth, ce Paris de la
Commune ressemble à celui d'un film d'anticipation d'aujourd'hui.
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